That's awkward | feat. Reed O. Aslan

Il avait décidé d'aller voir Rozetta.

Pas que ce soit inhabituel, au contraire, c'était quelque chose de récurrent maintenant, puisqu'il prenait soin d'elle comme il voyait qu'elle ne le faisait pas. Il essayait de se rendre utile, de pouvoir faire quelque chose même si elle refusait de s'ouvrir à lui - c'était son rôle en tant qu'ami ! De plus dans sa petite chambre aménagée, elle n'avait pas grand chose pour vivre correctement. Il lui apportait des décorations de temps en temps pour que l'endroit paraisse moins froid, moins mort. Il avait peur que si elle vivait dans un endroit austère elle se laisse mourir. Alors il s'était autoproclamé père adoptif de Rozetta, en attendant qu'elle aille mieux et puisse se débrouiller toute seule.

Il n'avait plus osé parler à Owain de ce qu'il s'était passé ce jour-là, et il ne pouvait pas vraiment compter sur Lillia pour lui expliquer non plus. Même s'il n'avait aucune idée de ce qui avait pu arriver à ces trois rayons de Soleil, il s'efforçait d'être présent pour eux, même s'ils n'en avaient pas besoin. Parce que ça avait l'air drôlement triste, tout de même, pour que l'une finisse par s'exiler et l'autre faire comme si elle n'existait plus. Aran faisait de son mieux pour les accompagner, c'était là pour ça les amis.

Il n'avait même pas pris la peine de se demander s'ils en avaient vraiment besoin, au fond.

Prenant le sac de linge propre ainsi qu'un peu de provisions qu'il avait mises de côté pour les amener à Rozetta, il quitta sa chambre, écharpe autour du cou pour se protéger du froid qui s'installait. Il avait peur que la cachette de son amie ne devienne trop froide durant cette hiver, alors il avait pris quelques couvertures de plus. Chargé comme un mulet, il se dirigea donc vers les quartiers résidentiels abandonnés, chantonnant, tout content de revoir la petite pyromane et de pouvoir prendre de ses nouvelles. Il n'avait même pas pensé à vérifier si elle était là, mais après tout elle ne sortait pas beaucoup de chez elle, hormis le soir où il la croisait parfois en soirée avant qu'elle ne disparaisse soudainement jusqu'au lendemain.

Il marchait depuis un petit moment déjà et ne se sentait plus très à l'aise. Comme l'impression d'être suivi. A cause de sa charge il ne put regarder autour de lui, mais au bout d'un certain temps il arriva à discerner des bruits de pas non loin de lui. Il s'arrêta et se tourna vers la source du bruit.

«E-Excusez-moi, vous cherchez quelque chose ?»

S'arrêtant un instant, il observa la tête de son interlocuteur, un grand blond qui n'avait pas l'air très sympathique. Il se demanda ce qu'il avait bien pu faire au bon Dieu et s'il allait mourir maintenant et paniqua légèrement, réaction un peu démesurée à la situation.

«Je n'ai pas d'argent mais vous pouvez prendre ces provisions si vous voulez ! Je ne sais pas pourquoi vous me suivez mais ne me faites pas de mal, s'il vous plaît !!»

Y'a que des blonds sur cette île ou quoi ? Haha...

Pour se rassurer, Aran se faisait des petites blagues intérieurement. Pas de quoi faire rire une foule mais ça le faisait au moins rire lui. Ou ce n'était qu'un rire nerveux, ce qui n'était pas très étonnant dans cette situation. Toujours presque plié sous le poids de ses sacs, il s'arrêta un instant et réfléchit. Tout donner et fuir ? C'était très tentant. Mais pas convaincant, il devait accomplir sa mission et obéir à son devoir. Son devoir qu'il s'était lui-même imposé mais qui lui tenait à coeur. De plus il n'aimait pas trop qu'on lui fasse la morale, il était assez grand pour savoir quoi faire de sa vie et à quelle heure sortir et où !

Mais quand même, je vais pas lui donner le linge de Rozetta, elle en a besoin... plus que lui d'ailleurs.

Il aurait bien pu lui demander les femmes, la moitié des femmes, le linge de maison, ou quelque chose de typique, il ne lui aurait rien donné. Enfin, en ce cas, il y avait des trucs dont il pouvait se débarrasser, il n'était pas très matérialiste et retourner faire des courses ne l'embêtait pas, bien que c'était fortement ennuyeux quand il venait à peine de les faire. Il esquissa un sourire pas très serein, et haussa les épaules du mieux qu'il pouvait.

«Je ne peux pas vous donner le linge, mais les provisions si vous voulez.»

Au risque de le froisser, au moins Aran était honnête. Peu importe s'il allait se faire assassiner là, maintenant, alors que la jeunesse venait de le frapper de sa beauté et qu'il n'avait pas encore eu la moindre expérience palpitante et une vie quelque peu plate et monotone selon lui, il devait réussir à apporter des vivres à son amie coûte que coûte ! Ce qui était impossible s'il mourait maintenant, mais il ne se rendit pas compte de la stupidité de son raisonnement.

«Et je ne peux non plus faire demi-tour, je dois amener ce linge à sa destinataire.»

Comme par réflexe, il recula un peu, ayant l'espoir de pouvoir faire demi-tour et de s'enfuir et se réfugier chez Rozetta, dans sa cachette doucement éclairée par la petite guirlande qu'il lui avait offert. Il crispa les mains sur les sacs, sentant ses mains devenir moites et son estomac se nouer de peur.

Oh non, je suis naze, je vais mourir ici sans pouvoir apporter le linge à Rozie !

Quoi ? Comme ça ? Si facilement ?

Il était resté bouche bée à la réponse de l'homme effrayant qui se tenait devant lui. Peut être avait-il bon coeur, deviné que Aran n'était qu'un gamin sans défense qui voulait faire une bonne action ? Il laissa échapper un soupir de soulagement, plus fort que lui, et se détendit. Le biologiste était sur les nerfs à chaque fois qu'il venait ici et maintenant ça lui semblait fortement justifié. Pourquoi ça n'arrivait qu'à lui ce genre d'histoires ? Néanmoins son interlocuteur n'avait pas fini.

« Puisque tu ne me donnes que la moitié de ce que tu as, je n'ai qu'à te suivre. »

Les muscles de Aran se tendirent à nouveau. Oh non, il devrait supporter cette ambiance pesante encore combien de temps ?! Et Rozetta ne serait sûrement pas très ravie de le voir arriver accompagner, surtout d'un individu aussi louche et effrayant. Il rajusta sa prise sur ses affaires et hocha la tête, encore une fois sans le vouloir, bien trop conscient des risques qu'il prenait s'il s'opposait encore à la volonté du blond. Il hésita un instant, guidé plus par son coeur que par son cerveau.

Rozie va vraiment pas aimer, faut que je m'en débarrasse !

«Néanmoins je ne suis pas sûr que mon amie apprécie que j'aie quelqu'un avec moi.»

Il réfléchit un instant, cherchant ses mots pour être poli mais direct à la fois, et également rester en un morceau jusqu'au bout. Aran n'était pas un froussard, loin de là, même si l'endroit ne lui était pas très rassurant, il s'y déplaçait sans problème en pleine nuit et marchait sans crainte dans les rues. Mais l'aura qui s'émanait de son interlocuteur n'avait rien de plaisant, et il ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, comme un don.

Il faut que je fasse une concession sinon il va me trancher la gorge et le linge sera tâché !

C'était sa seule priorité à vrai dire. Apporter le linge propre, ainsi qu'un minimum de nourriture à Rozetta pour qu'elle puisse vivre confortablement un peu plus longtemps. Il savait très bien qu'elle n'irait pas en chercher d'elle-même, qu'elle continuerait de vivre avec les mêmes draps, les mêmes vêtements, jusqu'à ce que ceux-ci soient suffisamment abîmés pour ne plus être utilisables, s'il ne faisait rien.

«Vous pouvez me suivre jusqu'à l'immeuble, mais pas y entrer. S'il vous plaît.»

Il avait ajouté la marque de politesse très rapidement, comme un oubli qu'on rattrapait habilement pour éviter la colère de quelqu'un. Il se dandinait d'un pied sur l'autre, espérant que celui-ci accepte sa condition puisqu'il en avait lui-même posé une. Après tout, c'était lui qui avait commencé en lui demandant ses affaires ! De quel droit se permettait-il d'arrêter un noble biologiste pour lui prendre tout ce qu'il avait - et qui n'était même pas destiné à sa consommation personnelle.

Faut vraiment que j'apprenne à être plus discret si je veux rester en vie.

Merci seigneur ou qui que tu sois.

Reprenant sa route, il soupira discrètement à nouveau. Son pauvre coeur de garçon trop tranquille pour ce monde avait du mal à supporter les rebondissements de cette journée mouvementée. Mettant son pilote automatique, ses pensées se bousculaient dans sa tête. Est-ce que ce n'était pas une ruse du blond ? Il tuerait Rozetta et Aran quand il en aurait l'occasion pour voler toutes les affaires et les abandonner à leur triste sort, isolés de toute civilisation dans cette résidence abandonnée. Ou bien il se tiendrait au marché qui venait d'être conclu ? Discernant peu à peu la forme de l'immeuble dans lequel vivait désormais la petite pyromane, il ralentit.

Est-ce qu'il était en train de la condamner avec lui ?

«Hé bien, heu... On y est... Je vais aller lui donner ses affaires.»

Comme à son habitude, il posa les sacs, prit une petite pierre qu'il lança contre les carreaux d'un appartement un peu plus haut, pour signaler son arrivée à l'adolescente. Se dirigeant vers la porte d'entrée de l'immeuble, il se retourna vers Reed, ne sachant pas comment lui demander gentiment de rester là, ou de partir avec le sac qu'il lui devait maintenant - les courses qu'il devrait refaire lui sapaient déjà le moral. Il hésita un long moment, regardant ses mains pleines, puis la porte qu'il ouvrit d'un coup de coude avant de rester planté dans l'encadrement de celle-ci.

Je peux quand même pas lui dire de dégager, je vais le vexer, il va me trancher la gorge à tous les coups.

Dun! Tap tap tap. Le bruit d'une porte qui se ferme toute seule et des pas dévalant les marches de l'immeuble résonnèrent dans le bâtiment vide. Aran déglutit difficilement, sachant très bien que Rozetta était celle en train de descendre ces marches pour aider Aran à porter les sacs, ou par pure curiosité comme il lui arrivait de faire dans ses bons jours. Le rythme cardiaque de l'océanologue s'accélérant, il n'arrivait pas à détourner son regard de l'individu louche qui le suivait depuis maintenant beaucoup trop longtemps à son goût.

«Aran ? Tout va bien ?»

La petite voix de son amie s'était fait entendre depuis le premier étage où elle était maintenant. Il tourna subitement la tête vers le haut de l'escalier en face de lui, priant pour qu'elle ne descende pas. Ses petits pieds en chaussons apparurent en haut de la dernière volée de marches avant que son visage pâle et creux n'apparaisse, ses cheveux décolorés relevés en un chignon mal coiffé. Aran, l'air crispé, lança un appel au secours de son regard à la pyromane qui releva doucement la tête une fois arrivée en bas. Néanmoins, elle ne sembla même pas étonnée de la présence du nouveau super copain du biologiste. Un léger sourire, à peine discernable pour ceux qui n'auraient pas l'habitude de voir le visage vide de la petite japonaise, se dessina même pendant un court moment.

«Oh. Bonjour Reed.»

L'irlandais lâcha ses sacs d'un coup, complètement pris au dépourvu.

Mais bordel qu'est-ce qu'il se passe ?!