Mais qu'est ce qu'elle fait ? | ft. Lillia Mizutani

- "Mmmmmh...
   Mmmmh ?
   Mmh ! "


Je tire la couverture à moi et me retourne. Je pense "Encore quelques minutes...".


Je tente d'ouvrir les yeux. Mes paupières se refusent à une telle torture, elles se sentent si bien, fermées...
Je me retourne dans mon lit et tente à nouveau cette même manœuvre. Elles finissent par céder.
J'aperçois les barreaux de ma mezzanine. Les reflets de lumière forment comme deux yeux et une bouche sur une tête d'acier.
Cette tête semble me regarder et me demander si j'ai bien dormi. J'avais bien dormi. Mais je ne devais pas être tout à fait éveillé...


Je descends de mon lit et jette un coup d’œil à mon voisin de chambre du dessous. Il dort encore profondément dans une position totalement improbable et encore plus indescriptible. Je me murmure à moi moi-même qu'il aurait pu être l'Ultimate Contorsionniste.
Ma routine matinale se passe... matinalement, dans la douceur. Tranquille.
Je me perds un moment dans les dédales que forment les bâtiments du campus. Je ne suis pas encore bien habitué à ces centaines de couloirs et de halls tous interconnectés, mais je finis par retrouver la sortie menant vers les jardins.


Quelques pas vers les parquets de fleurs. Je fait face au soleil, puis me retourne comme un linge que l'on fait sécher. Je profite de ce petit moment pour faire le plein de vitamine D. Je regarde un peu mieux le jardin, dans son ensemble. Plusieurs grandes rangées de buissons taillés d'une infinie précision. Des parquets sans fins emplis des plus belles fleurs. De grands et nobles arbres forment les points centraux de ce jardin. Une fontaine magnifique qui resplendit et apporte de la fraîcheur à cet endroit. Sans nul doutes un des plus beaux jardins. 
Je pense avec le sourire :
"Ce doit être l'oeuvre d'un Ultimate. Décidément, je n'aurais jamais imaginé que je puisse faire partie d'une telle élite. En un sens, c'est assez exceptionnel de nous avoir tous rassemblés en cet endroit. "
Je décide de fermer les yeux un instant.
Profiter du châle qu'offre ce rayon de chaleur, des odeurs enivrantes des fleurs environnantes, de la brise qui faisait frémir tout ces lauriers-cerises.


Puis je décide de rouvrir mes paupières. Je scrute l'horizon, le ciel bleu et le soleil déjà haut dans le ciel.
Mon regard finit par rencontrer un de ces piliers.
Un de ces piliers qui supportent le dôme et me rappelle sans tact aucun que je ne suis qu'un prisonnier, comme tout les autres.
Me rappelle que ce ciel bleu que je contemplais n'est en rien un symbole de liberté et que tout ce que je vit ici n'a rien de familier. Que l'Ultimate Scientist est là quelquepart, à nous observer... 


Toujours en observant au loin, un mouvement brusque capta mon attention et mon regard de l'autre côté du jardin. C'était une jeune fille à la longue chevelure teintée blanche. Son allure simplette s'accordait à sa dégaine très " papillonesque ".
Elle venait subitement de changer de trajectoire dans sa ballade à première vue tranquille.
Quelques secondes de plus à la regarder et je me rappelle d'elle. Je l'avais déjà aperçue lors de notre arrivée ici. Elle m'avais l'air d'en savoir plus que nous, mais avec la masse de gens qui se pressaient de sortir du bâtiment, je l'avais perdue de vue.
Son virage soudain me paraissait une fois de plus suspect. D'autant plus qu'elle continuait sa marche guillerette vers la forêt qui borde cette aile du campus.
Le chemin scabreux qu'elle s’apprêtait à emprunter n'avait rien d'avenant et elle n'aurait aucune raison de s'y diriger si elle ne faisait qu'une simple promenade. Elle sait où elle va. Intrigué mais surtout suspicieux, je décide de la rejoindre et de la suivre, de loin. 


J'accours à la sortie des jardins, là où je l'avait aperçue de plus haut, et remonte la butte qui séparait les jardins de la grande forêt. Elle s'étais déjà bien avancée, mais l'entrée de ces bois était encore assez claire. Cela ne me pris pas longtemps avant de la retrouver, quelques mètres plus loin. Mais il fallait que je la suive discrètement, ça n'étais pas une affaire de course pour la rattraper, mais bien une filature. Dans la forêt. Avec des feuilles craquelantes. Et des branches, prêtes à se briser en fracas au moindre faux pas.
Heureusement, les chants des oiseaux masquait ma démarche imparfaite et, ainsi, je parvint à la suivre sans qu'elle ne puisse me repérer. Se doute-t'elle même que quelqu'un puisse la suivre ? Où va t'elle aller si près du Campus ? Peut-être existe-t'il une trappe ou une entrée quelconque dissimulée ?
Je regarde en l'air un instant et regarde les oiseaux. Leurs couleurs vives pour certains, automnales pour d'autres sont vraiment sublimes. Et elle, qui serait-elle pour en savoir plus que nous ? Si j'y repense, à mon arrivée, je m'imaginais des complices dans cette grande expérience scientifique.
Peut-être ai-je fini par en trouver, une personne enfermée, apparemment dans la même situation que nous, mais complice de l'Ultimate Scientist.


Plongé dans mes pensées, la tête levée vers le ciel, cherchant des oiseaux et des réponses à mes interrogations,
J'étais en train d'oublier ce que je faisais en premier lieu. Je dois me ressaisir et recentrer mon regard vers la fille.
La... La fille... 
Hum... Je l'ai perdue de vue...
C'est embêtant.


Je continue à marcher dans la même direction, sait-on jamais, je devrais encore pouvoir la retrouver.
Je tourne la tête à droite à gauche et après deux minutes pendant lesquelles je ressemble à un père cherchant son gamin dans une grande magasin, je finis par apercevoir une sortie à cette forêt. En quelques foulées, j’atteins ce qui ressemble à la bordure de l'île. Soudainement, le terrain n'est plus le même. Je passe en quelques mètres d'un humus de forêt à un récif rocailleux avec, pas loin, une falaise immense qui se tient devant les remous agressifs de la mer. L'endroit a son charme.
Le genre d'endroit que tout artiste adorerait peindre pendant des heures sous tout les angles pour en capter toute la brutalité majestueuse de ce lieu.


Mais je m'égare. Je fait quelques pas vers cette falaise, toujours à la recherche de cette jeune fille tout aussi mystérieuse que sa destination. Je distingue une anfractuosité de la falaise. Je m'avance encore de quelques pas et commence à entrevoir que cette cavité abrite l'entrée d'une grotte creusée et taillée à même la roche. L'endroit me paraît suspect.
Je me met en quête d'un moyen d'y accéder sans risque de tomber sur le récif et de s'y briser une demi-douzaines d'os, dans le meilleur des cas. Je m'approche toujours plus de la falaise mais n'aperçoit strictement aucun accès.


Je commence à me demander si cette fille est vraiment passée ici, peut-être l'ai-je ratée ?

- Non, pas ici.
- Là non plus.
- Mais comment a-t-elle fait ?

Je continue à regarder aux alentours. Une idée me traverse l'esprit, j'essaye de l'ignorer, mais elle lancine mon esprit de plus en plus. Est-ce qu'elle ne se serait pas... Laissé tomber ?
Mes yeux sont fixés sur les violentes vagues qui frappent la roche ici bas. Je suis perplexe. Je détourne les yeux, " Non, c'est impossible ! " dis-je. Mais je n'y croyais pas.

Et c'est en cet instant, en détournant mes yeux, que mes craintes se sont à la fois envolées et multipliées. Moi qui la cherchais, elle était face à moi. Et qui plus est : elle me fonce dessus avec la volonté d'un rugbyman qui veut plaquer un bœuf. Le choc est bref. Et tout son corps entraîne le mien en arrière. Je regarde en bas un instant et y aperçoit les récifs et les remous si violents que je contemplais il y a quelques instants de cela. En quelques secondes, ce paysage est passé d'admirable à menace mortelle. Mon corps s'emplit d'adrénaline. A ce moment, la vitesse n'y fait rien, il s'agit uniquement des réflexes. Des réflexes animaux. Des réflexes de survie.

Mon corps a pris le contrôle. Pendant ces courtes secondes, je ne saurais pas vous expliquer ce qu'il s'est passé mais... Je suis encore là.
Je suis accroché à une roche. A l'autre de bout de mon corps, je la sens. Elle est encore là. Je tourne la tête et je l'aperçoit, fébrilement accrochée à ma main avec, derrière elle, le vide. Je resserre ma poigne. Si je ne tombe pas, elle ne tombe pas.

Je commence à reprendre conscience de ce qu'il vient de se passer. Je regardais les embruns, elle m'a foncé dessus et on en est arrivé là. L'urgence de la situation ainsi que le bruit fort des vagues qui s'écrasent contre les récifs me font crier.

- Wow ! Mais qu'est ce qu'il t'es passé par la tête ? Tu voulais nous tuer ?!


Elle semblait préoccupée par autre chose, son visage exprimait une certaine inquiétude, mais cela ne semblait ni à l'égard de mes mots, ni de notre situation.
Incompréhensible.
Prenant conscience de la situation, qui ne nécessitait pas d’engueulades, mais d’encouragements, je la relance :

- Bon... ça va ? Accroche-toi ! On devrait pouvoir s'en sortir !


Encore une fois, aucune réponse.

Je me recentre sur notre situation quelques peu urgente. Je resserre encore ma poigne sur elle et tente de trouver appui sur un pan de roche. Mais rien à faire : la falaise se creuse et mes pieds s'agitent dans le vide. Frustré de ne pas avoir d'autre appuis que ma seule accroche, je fait de mon mieux pour nous hisser.
Mais rien à faire, la prise est étroite et mes muscles pas assez performants. La seule chose que je puisse faire, c'est continuer à nous porter. L'idée de crier pour qu'un passant nous vienne en aide traverse mon esprit.
Mais ce serait inutile, si les fracas assourdissants des vagues ne couvraient pas ma voix, pourquoi devrais-je espérer qu'une personne aussi tordue que nous se ballade dans les environs ?
Quelques minutes passèrent ainsi, je jetais de temps en temps des coups d’œil à cette fille pour vérifier son état. Je ne la voyais que penser, "Peut-être réfléchit-t-elle à un moyen de nous sortir de là", espérais-je.

Mes muscles commencent à s’engourdir. Si je ne tente pas quelque chose très vite, il ne sera plus qu'une question de temps avant que je ne lâche. En bas j'entends un fracas encore plus grand que celui des embruns. Des pierres qui s'entrechoquent.
Aussi, je la sens se balancer légèrement au bout de mon bras. Machinalement, je tourne la tête pour comprendre de quoi il retourne. A-t'elle eu enfin une idée ?
Ce que je vis me fit regretter de ne pas avoir de troisième bras avec lequel me facepalm.
Elle avait aperçu et cueilli un pissenlit qui dépassait d'entre deux rochers et après avoir senti son parfum me le tendait.
C'est donc ce pissenlit qui la préoccupait depuis tout ce temps ?! Je n'en revenais pas.
La surprise de cette situation improbable acheva la tension de mes muscles et me fit lâcher prise.

. . . et merde.

Je cherche désespéramment à corriger mon erreur, en vain, c'est trop tard la prise est déjà à quelques centimètres de ma main.
Finalement, nous chutons, comme cela aurais dû se passer il y a quelques minutes.
A peine un mètre de chute et nous nous heurtons à une roche. Je n'ai pas le temps de remarquer ni de penser comment une roche a-t-elle pu se retrouver juste en dessous de nous,
alors que je n'y voyais que le vide il y a de ça quelques instants. Ce n'est pas ce qui me préoccupe en cet instant.
Nous glissons et roulons le long de cette roche. Je cherche toujours à nous stabiliser et cherche dans tout les sens une nouvelle prise qui nous arrêterait. Et je la trouve. A l’extrémité de la roche. Nous revoilà accrochés à un rebord. Je tenais toujours cette fille fermement.
Et... OUI ! Une nouvelle prise sur ma jambe gauche. Je n'attends rien de plus et profite de cette marche pour nous hisser, cette fois, efficacement. Je nous tire de là et repose mes jambes sur une plateforme à peu près plate.

Je reprends mon souffle et mes esprits. Je laisse le temps à mon corps de se remettre de ce danger de mort qu'il viens de vivre. Machinalement je porte ma main à ma tête, comme pour vérifier si elle était toujours là.
Sans bouger, je cherche des yeux la responsable de toute cette situation. Regarde à droite. Regarde à gauche...
Une goutte de sueur coule sur ma tempe.
...
Elle n'est plus là.
Mon corps se lève soudainement, se raidit. Je tourne mon corps à 540° et l'aperçoit de nouveau "ouf". Je souffle d'un sentiment mêlé de désespoir et de satisfaction. Elle marchait doucement vers l'intérieur de la cavité dans laquelle nous nous trouvions. En effet, cette cavité s'enfonçait bien plus dans la roche que l'on ne pourrait penser à première vue. Je repense à la grotte que j'avais repérée il y a quelques minutes. J'observe les murs. Ceux que j'avais observés étaient taillés et ornés de motifs, ceux-ci en revanche, semblaient tout à fait naturels.
Je me décide à la rattraper. Je marche maintenant à côté d'elle. Je l'observe un moment et ne peut pas m'empêcher de me demander pourquoi est-ce que cette fille que je suspecte tant, me fascine étrangement.
Je secoue la tête, ce n'est pas le moment. J'inspecte les lieux. La grotte n'est pas suffisamment haute de plafond pour s'y tenir droit, il faut courber la tête. Les murs se rejoignent d'ailleurs juste au dessus de nos têtes, formant de la grotte une sorte de prisme. Seul un léger filet d'eau venant du fond obscur de la grotte ruisselle entre les roches.